Le jardin
Je suis dans ce jardin
Sans fleurs sans légumes sans fruits
Sans caravane sous l’auvent
Je vois la brume et le soleil timide
Quelques feuilles sèchent et humides à terre
Les arbres sont nus lancent leurs branches vers le ciel
Ce jardin a connu de multiples transformations
Image d’une vie sédentaire à construire un nid
Image d’un corps à l’image de son habitant de ses habitants
Image d’un certain confort
Image d’un attachement solitaire aux saisons
Le jardin aux métamorphoses de la peau
Gorgé de soleil, gorgé d’eau ou de vent
Du tas de sable il y a 40 ans à la chaise d’aujourd’hui
Sur laquelle je n’ose même pas m’asseoir
Moi la petite fille je suis là immobile
Elle, la chaise, est là immobile, au milieu du potager
Cette chaise en plastique vide seule
A quoi servait -elle ?
Etait-elle installée ici pour la contemplation le recueillement
Ou était-elle un appui pour le désherbage et l’entretien de la terre ?
Qui allait s’y asseoir ?
L’homme âgé de la maison scrutait-il son jardin d’automne ?
Ecoutait-il tomber les pommes et le craquement des brindilles sous les pattes d’oiseaux ?
Je suis dans ce jardin
Sans fleurs sans légumes sans fruits
Sans caravane sous l’auvent
Et je suis dans ce jardin
Les plantations, l’olivier de l’âge mûr, pèle mêle les âges mélangés
Un seul ordre celui des souvenirs qui s’imposent
Anarchiques et sans chronologie
Affectifs olfactifs et visuels, je suis dans ce jardin
Les parties de jonglage l’été, les siestes avant de partir à la plage
Les rires et les jeux de pétanques, une maman encore joyeuse et ses enfants
Une lectrice cachée sous un bob dans un coin de terrasse
Les jeux d’eau à même le sol
Le lavage interminable des coquillages ramassés au bord de la mer
La balançoire fabriquée avec une planche et de la corde pendue entre deux arbres
Un espace de plus en plus restreint pour jouer au ballon
Le fumier du fond du jardin, les cigarettes de l’adolescence, le fil à linge
Le champ mystérieux en friche de l’autre côté, les chats sauvages
Les étoiles de mer à faire sécher qui sentent mauvais
Les haricots du jardin fierté du sans fil, les barbecues, les apéritifs
Les crêpes confectionnées au sous-sol de la maison,
Le galletier brûlant, le lait Ribot, les confitures
Les fraises du jardin comptées dans chaque assiette victimes de leur succès
Gourmandise punie,
L’ennui de l’enfant qui ne veut pas se reposer qui ne sait pas quoi faire
Il n’a pas le droit de traîner dans la maison
Il cherche des bêtises les coins cachés et interdits du jardin
Les expositions au soleil pour bronzer dès le matin
Les petits entrainements au roller
Les fleurs de plus en plus envahissantes
Un jardin tiré à 4 épingles
Des bouts d’enfance qui s’envolent
Je suis dans ce jardin
Sans fleurs sans légumes sans fruits
Sans caravane sous l’auvent
Et demain des cendres au vent se poseront
Sur ce jardin
La terre s’imprègnera de ses cendres
La terre jusque dans la transformation du sol
On ne sait jamais où l’on va habiter
On ne sait jamais ce qu’il y a eu avant nous
Ce qu’il y aura après nous
Une vie à entretenir son jardin
Et ne pas pouvoir partir
De son vivant porter l’idée
D’être là et nulle part ailleurs
Et y laisser tes cendres
Pour que tu sois là
Et nulle part ailleurs
@Lalinéa Décembre 2016
, 6 décembre 2016