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Ondine bleue
7 janvier 2017

Mon grand-père

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Mon grand-père, je ne crois pas qu’il aurait aimé avoir le super pouvoir de renaître de ses cendres.

Sans attendre 2017, il a décidé de partir. Il en avait assez de vieillir de ne plus voir la mer que dans son souvenir alors qu’elle était à quelques kilomètres de la fenêtre de sa chambre d’hôpital.

La mer, son iode, ses vagues, sa fraîcheur, ses tourments, ses tempêtes, il l’aimait plus que de raison. Défiant ses vagues sur sa planche à voile, scrutant sa robe flottante à la recherche de ses mystères aquatiques, de ses humeurs tumultueuses, de ses marées inspiratrices d’évasion, de rêves d’amour juvénile saboulé d’éclairs multicolores jusqu’à l’aurore du lit défait, du sable mouillé témoin d’un récent passé laissant billes de verre et galets échoués dans l’âme du pirate de terre qu’était mon grand-père. Svelte et légère sa mer l’emportait humer les embruns et la baie des souvenirs qu’il chérissait : ses voyages, ses rencontres, ses marches, véritables filets levés sur l’univers. Il la rêvait menaçante n’ayant peur que de l’ombre des pensées et de l’obscurantisme des rochers peuplé de Bernard l’Hermite fuyant l’orbite de leur propre limite. Il l’aimait caressante dans ses rouleaux, expressive dans ses regards furieux , envoûtante dans ses chants glissés aux creux de son oreille, créatrice de  jeux sensuels aux sonorités poivrées, traductrice de ses envies ; il jouait avec elle, comme on joue avec le feu, testant sans cesse les limites de ses vagues, qu’elles soient jaillissantes et mousseuses prêtes à se retirer doucement avec un bruit de frétillant de friture, ou qu’elles soient agressives prêtes à la bagarre emportant tout sur leur passage, invincibles et guerrières, mauvaises et grises, vertes sombres, crachant tout le sel de leur colère à la tête de mon Grand-père. Imperturbable d’amour, il leur criait ses déclarations sans faiblir. Les yeux droits, les mains fortes et abimées, il ne cherchait même pas à la rendre docile, il l’aimait comme ça. Elle ripostait même face au silence. Puis la nuit venant, ils finissaient par échanger des confidences, des chuchotements et des rires. Inspiratrice, il marchait des heures durant le long des courbes de ses chemins côtiers. Les jours où elle était limpide, humble et transparente, le vent dormait, il pouvait lire ses pensées.

Sans attendre 2017, il a décidé de partir sans bruit un sourire aux lèvres. Il pensa à la mer, mais aussi aux zazous, aux chamallows, aux goûts des crevettes et du Porto, mais plus rien n’avait la même saveur. Il voulait aussi se remarier avec ma Grand-mère, immobile et tremblant il voulait tant de choses. Il a donc décidé de devenir un majestueux Pélican, grand, beau, blanc et portant fièrement son bec jaune, il voulait non plus défier les vagues mais les courant d’air, planer sur celle qui l’avait toujours soutenue. Il pourrait poursuivre ses voyages, approcher la lumière sans frapper, toucher les lèvres du ciel, effleurer ses commissures, sentir les gouttelettes salées et les perles translucides de la pluie sur ses grandes ailes déployées ; il pourrait manger des crevettes et du poisson, piquer du bec les nuages, plonger la tête la première et surfer sur la mer.

Les cimetières, la symphonie des fleurs portées par une veuve, la fausseté, les faux-semblants, les mascarades mortuaires et tous les fracas sociaux lui crispaient l’esprit. Pélican de liberté, réfractaire à tout monopole d’idée, pensant par lui-même, personne n’avait à lui dire ce qu’il avait à faire. Pélican de liberté est parti cueillir tous les chardons qui poussent dans les dunes, purifier la chair qui stagne dans les crevasses, brûler les lois créées par la foudre, offrir son cœur et son sang pour la survie de ses enfants.

Usé et cassé il a migré sans attendre 2017. La dernière fois que je l’ai vu il avait déjà commencé sa transformation et préparait son envol.                                                                      

 Lalinéa décembre 2016

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